Les Fleurs du Mal

 

 

AU   LECTEUR

 

La sottise, l’erreur, le péché, la lésine,

Occupent nos esprits et travaillent nos corps,

Et nous alimentons nos aimables remords,

Comme les mendiants nourrissent leur vermine.

 

Nos péchés sont  tétus, nos repentirs sont làches ;

Nous nous faisons payer grassement nos aveux,

Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,

Croyant par de vils pleur laver toutes nos taches.

  

Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste

Qui berce longuement notre esprit enchanté,

Et le riche métal de notre volonté

Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

 

C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !

Aux objets répugnants nous trouvons des appas ;

Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas,

Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

 

Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange

Le sein martyrisé d’une antique catin,

Nous volons au passage un plaisir clandestin

Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.

 

Serré, fourmillant, comme un million d’helminthes,

Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,

Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons

Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.

 

Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie,

N’ont pas encor brodé de leur plaisants dessins

Le canevas banal de nos piteux destins,

C’est que notre ậme, hélas ! n’est pas assez hardie.

 

Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,

Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,

Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,

 

Dans la ménagerie infậme de nos vices,

 

Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !

Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,

Il ferait volontiers de la terre un débris

Et dans un bậillement avalerait le monde ;

 

C’est l’Ennui ! – l’œil chargé d’un pleur involontaire,

Il rệve  d’échafauds en fumant son houka.

Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,

- Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !          

 

Charles Baudelaire, poète symboliste. Il a ecrit cette recueille des 127 poèmes, qu'il a intitulée Les Fleurs du Mal. Pourquoi ce titre? £Fleurs du Mal": deux mots qui sont aux antipodes. Fleurs a jusqu'ici connoté l'innocence, la pureté; Mal rappelle quelque chose de sombre, d'informe, d'hideux. Ici Baudelaire semble affirmer qu'il existe une beauté propre au mal. Les Fleures (les poésies) sont extraites du Mal; l'operation poétique donc transmue le mal et la laideur, qui Baudelaire dans l'Appelle au Lecteur appelle Ennui, en beauté.

 

Devant a l'Ennui on peut faire deux choses: ou rien faire ou, comme dit Baudelaire, s'enivrer.

 

"[...] Il faut toujours etre ivre. Tout est là: c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans treve.

Mais de quoi? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous. 

[...] Il est l'heure de s'enivrer! Pour n'etre pas les esclaves martyrisés du Temps,

enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. [...]"          C. Baudelaire, La Spleen de Paris, XXXIII

 

Pour ce qui regarde le vin, Baudelaire lui dedit une section dans l'oeuvre Les Fleurs du Mal. Il y mit 5 poèmes, mais je ne traits seulment 3